Je suis née à Paris le 20 décembre 1956. Mes parents se sont
installés à Rouen où j’ai été élevée par deux femmes au tempérament
opposé. Mon arrière grand mère, l’abuela, (l’aïeul en espagnol) née
en Galice, qui ne parlait qu’espagnol et ma grand-mère, née à
Barcelone, qui elle, s’exprimait dans un sabir assez
incompréhensible. L’abuela était revêche, petite, toujours vêtue de
noir ou de gris, jamais maquillée. Sa fille était grande, avenante et
coquette, je l’adorais. J’ai peu de souvenir de la vie avec ma mère.
Elle était très jeune et je suppose qu’une petite fille la gênait …
Nous vivions entre femmes, les deux hommes de la famille étaient
morts et mon père faisait la guerre d’Algérie.
Nous étions pauvres, les biens de notre famille avaient été
réquisitionnés par le régime franquiste ; aussi toutes trois
travaillaient, mais je n’étais jamais seule. Je me souviens d’une
grande proximité avec les autres locataires, des éclats de rire, du
Flamenco, des chants, mais aussi des colères et des pleurs, de la
mélancolie… L’abuela écoutait tous les soirs à la même heure le
résultat des courses énuméré d’une voix monocorde. Ce ton, la
neutralité des mots inconnus, l’apaisait. Elle s’asseyait devant la
fenêtre, et me prenait sur ses genoux, nous regardions
silencieusement les passants. Cette langueur, je l’éprouve toujours
quand je m’assieds à la terrasse d’un café, mais inutile de
chercher le dialogue, les lieux publics ne sont pas faits pour cela.
Mon attention est sans cesse happée comme au théâtre.
L’abuela n’aimait presque personne, elle était très dure et assez
gueularde. Pourtant elle me laissait embrasser ses joues couvertes
de duvet …Je crois qu’elle me passait tout. Je me souviens du lit
pliant qu’elle protégeait comme une relique mais sur lequel je me
jetais comme sur un trampoline. Elle disait qu’il fallait que mon
heure de folie passe et se contentait de me donner des coups de
polochon en mimant la colère…
J’avais donc quatre ans quand mon père est revenu de la guerre,
Nous avons quitté le « gourbi, » comme il disait. Ma mère s’est
pliée à l’ordre même si elle a toujours refusé la messe du dimanche.
Elle avait rencontré mon père dans une boîte de jazz où il jouait du
trombone. Mauvaise pioche, en croyant épouser un artiste, elle
épousait en fait un commercial maniaque du rangement. Ils ont fini
par divorcer. Quand je feuillette les albums photos de ce temps, je
mesure notre tristesse.
Mais moi j’aime rire.
À l’adolescence, je me suis donc révoltée contre cette éducation
bourgeoisie étriquée et si peu aimante qui ne m’élevait pas. À
l’école j’étais mauvaise élève, terriblement dyslexique et rêveuse.
Dès quinze ans, j’ai fugué. Je voulais voir la mer. J’ai abandonné le
collège en troisième, puis la maison et je suis rentrée aux Beaux
Arts de Rouen. Je n’ai plus revu mon père et peu ma mère.
La vie nourrit la création. Je suis partie en auto-stop jusqu’en
Indes, plus tard, j’ai appris à maçonner, faire de la soudure,
planter, terrasser, tronçonner. J’ai même construit une cabane dans
la montagne Cévenole, certifiée 100% baba cool. J’ai vécu là, avec le
fiancé du moment, presque un an, en immersion avec la nature. Au
final, le manque de confort, ça va un moment.
Je suis montée à Paris, avec trente francs en poche. Un ami,
décorateur de théâtre, m’a prise sous son aile et m’a hébergée. À
cette époque, je travaillais parfois 18 heures par jour. La peinture
s’était substituée à la vie, une passion obsessionnelle, dévorante.
Dans les années 80 les portes des galeries s’ouvraient facilement et
je n’imaginais pas qu’il puisse en être autrement. Très vite, les
dessins pour la presse et la pub se sont enchaînés.
Je suis tombée amoureuse d’un directeur artiste dans la presse.
Nous avons eu un fils, Charly. À sa naissance, je me suis mise à
peindre.
Mon deuxième mari est aussi directeur artistique de presse. Nous
avons une fille, Louise. A sa naissance, je me suis mise à écrire.
Quand elle a eu cinq ans, mon premier album jeunesse est sorti.
Mes enfants sont les personnages récurrents de mes albums
documentaires, ils grandissent au fil des récits. Avec eux, j’explore
de grands sujets : l’eau, les déserts, la forêt, l’alimentation.
Chaque livre me prend en moyenne deux années. La recherche de
documents est longue et méticuleuse et m’apprend ce que l’école n’a
pas réussi à m’apprendre. L’illustration est plus difficile et plus
contraignante qu’une recherche personnelle, car les images doivent
être obligatoirement en rapport avec le texte.
Mon projet actuel retrace les luttes de femmes emblématiques et
essaie de répondre aux questions de Louise sur le sexisme qui nous
entoure au quotidien. Je continue de peindre, et j’ai découvert les
plaisirs du jardinage.
Ma vie est plus sereine dans cette petite ville de Saint-Leu la
forêt. J’ai le bonheur de vivre dans une maison, au bord de la forêt,
avec ma famille et notre chien, un coton de Tuléar super stupide mais
si calinou (d’après Louise).
Je suis engagée dans la protection de l’environnement et le droit des
femmes. J’interviens dans les cités. L’école devrait s’ouvrir
davantage sur l’extérieur et donner à voir autre chose à des enfants
qui n’ont pas eu la chance d’aller plus loin que le bas de leur tour
et le supermarché d’à côté.
Mais j’aime aussi tout simplement répondre aux invitations de mes
lecteurs et monter des projets avec les élèves.
Il y a tant à faire et la vie est courte.
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